mardi 31 juillet 2012

Violence juvénile et influence des médias

Selon la théorie de la catharsis, observer des comportements violents permettrait d’évacuer sa propre violence. On a longtemps pensé qu’assister à des spectacles violents (sports, films…), ou même y participer, pouvait permettre le défoulement de « pulsions agressives ». En fait, toutes les études ont prouvé que c’est exactement l’inverse qui se produit.
En 1998, l’Association américaine de psychiatrie publia un long communiqué sur l’effet des médias sur la violence des enfants et des adolescents. La phrase d’introduction de ce communiqué est : « Le débat est terminé » (The debate is over). Selon les auteurs, le débat serait terminé car des centaines d’études en laboratoire ou en milieu naturel ont montré que la vision de spectacles violents augmente les comportements agressifs chez les enfants et les adolescents dans les heures qui suivent, mais également à plus long terme. En 1995, l’Académie américaine de pédiatrie était parvenue à la même conclusion, après avoir également passé en revue les résultats de la recherche. Les deux communiqués se terminent par des recommandations pour les parents, les hommes politiques et les responsables des médias.
Devant de tels résultats, on est toujours surpris de voir régulièrement niée l’influence de la violence dans les médias sur le comportement des jeunes, par des arguments du genre « Ce n’est pas la télé ou le cinéma qui rend violent, mais la société qui est violente, et les médias n’en sont que le reflet ». Bien entendu, la violence juvénile est un phénomène complexe, et il serait vain de lui trouver une seule vraie cause. Mais il n’en reste pas moins qu’être le spectateur régulier de spectacles violents constitue un facteur de risque qui, même s’il n’est pas le plus déterminant, peut s’ajouter à ceux liés au milieu socio-éducatif, à la personnalité ou aux valeurs de sa « bande ». Selon les chercheurs, l’observation de spectacles violents agit pas plusieurs mécanismes : apprentissage par imitation inconsciente de modèles (dont on sait qu’il est l’un des plus efficaces), habituation et désensibilisation émotionnelle à la violence (qui à force d’être observée devient banalisée) et altération des valeurs : la violence est présentée comme une solution avantageuse, et ses conséquences négatives (souffrances des victimes, infirmités, deuils) sont rarement montrées. Le sommet est atteint dans les jeux vidéo de combat de plus en plus réalistes graphiquement et au plan sonore : faire jaillir le sang de l’adversaire ou le marteler de coups fait gagner des points. Toutes les études concordent et montrent qu’après avoir utilisé de tels jeux les individus sont beaucoup plus intolérants à la moindre frustration survenant ensuite.
Malgré l’accumulation de tous ces résultats, on reste surpris du faible retentissement de ces études auprès de l’opinion publique et des responsables politiques. Il est vrai que plus de vingt ans sont passés entre le moment où des chercheurs ont établi la relation entre tabac et cancer du poumon et le moment où cette information a été diffusée dans le public. Un délai du même ordre s’est écoulé entre la connaissance du rôle utile de la ceinture de sécurité et son adoption dans les années 1960 par les constructeur automobiles américains, la main forcée par les révélations de Ralph Nader. (Les constructeurs refusaient la ceinture car ils ne voulaient pas associer dans l’esprit du public l’image de la voiture à celle de l’accident toujours possible.)
Un dernier argument pour ceux qui ne croient pas à l’influence des médias sur nos comportements : si la télévision n’a pas d’influence sur nos comportements, pourquoi le budget mondial de la publicité télévisée se chiffre-t-il en milliards de dollars ?
(ANDRÉ Christophe et LELORD François, « La force des émotions » (2001/2003), Éd. Odile Jacob - édition poche n°114, 2011, p. 350-351)

... mieux vaut regarder une image apaisante !

samedi 28 juillet 2012

Compassion envers tous les êtres vivants

Pour les bouddhistes, sagesse et compassion vont de pair. Selon un maître, « sagesse sans compassion n’engendre que l’orgueil ; mais sans sagesse, la compassion est aveugle ». Mais cette compassion, étant étendue à l’ensemble des êtres vivants, y compris les plus humbles, suppose donc la connaissance de la nature, condition essentielle pour la respecter et l’aimer. Et Jacques Brosse de conclure : « Un vrai bouddhiste est de toute nécessité un écologiste (l) »
(Jean-Marie PELT, « Nature et spiritualité », en collaboration avec Franck Steffan, 2008, Le Livre de poche n°31 529, 2009, p. 62 ; (1). Jacques Brosse, in Écologie et spiritualité, Albin Michel, 2002)


dimanche 22 juillet 2012

Le bouddhisme : l'écologie avant la lettre

À cet égard, l'approche du bouddhisme est absolument originale. Elle ne coïncide pas tout à fait avec celle, traditionnelle et fusionnelle, des peuples premiers pour lesquels la moindre parcelle de la terre est sacrée, puisque habitée par un esprit. Mais elle se distingue non moins radicalement de l'affirmation monothéiste d'une nature créée par Dieu et confiée à l'homme pour qu'il la cultive et l'entretienne. L'approche des peuples premiers est panthéiste, celle du monothéisme théocentrique ; le bouddhisme offre une troisième voie énonçant l'étroite interdépendance entre l'ensemble des êtres vivants, tout en reconnaissant à l'homme une responsabilité de compassion et de protection. Centrée sur ce concept d'interdépendance, le bouddhisme rejoint les intuitions les plus modernes de l'écologie qui est, rappelons-le, la science des interrelations entre les êtres formant un écosystème, fût-ce l'écosystème Terre en son entier.
(Jean-Marie PELT, « Nature et spiritualité », en collaboration avec Franck Steffan, 2008, Le Livre de poche n°31 529, 2009, p. 60-61)

[Le chemin spirituel bouddhiste] implique de respecter et de protéger tout être, toute chose comme le bien le plus précieux. C’est dans cet esprit, par exemple, que les moines ont créé l’art floral, dans le but de prolonger la vie des fleurs offertes au Bouddha dans les temples, ou brisées par un orage. La proximité avec la nature du moine, qui souvent s’établit dans des monastères en montagne ou près des rivières, lui permet de vibrer à sa musique. Les traditions bouddhiques évoquent ces moines qui ont connu l’éveil en entendant un caillou tomber, en contemplant une fleur de pêcher ou en se laissant bercer par le murmure d’un torrent. C’est au cœur de ces humbles phénomènes naturels, que l’Occidental urbain et « branché » ne perçoit plus, que le moine réalise son unité avec l’univers.
(Jean-Marie PELT, « Nature et spiritualité », en collaboration avec Franck Steffan, 2008, Le Livre de poche n°31 529, 2009, p. 64)

Fresque murale dans un temple Bouddhiste, Ladakh

mercredi 18 juillet 2012

Colère dans le pacifique

"Les Ifaluks, habitants d’un atoll coralien de Micronésie, dans le sud du Pacifique, ont une grande richesse de vocabulaire pour désigner la colère : lingeringer, pour la colère qui monte lentement à la suite d’une succession d’incidents contrariants, nguch, le ressentiment éprouvé quand votre famille ne vous a pas aidé comme vous l’attendiez, tipmochmoch, qui désigne l’irritabilité éprouvée quand on est malade, et enfin song qui est la colère mêlée d’indignation contre quelqu’un qui a commis un acte moralement répréhensible. Catherine Lutz, une anthropologue, décrit toutes ces émotions dans un livre fameux, intitulé « Unnatural Emotions » qui défend une approche culturaliste « radicale » : selon elle, il n’y a pas d’émotions universelles, et nos tentatives de les étudier scientifiquement (par exemple en analysant les expressions faciales) est déjà un biais culturel occidental. Paradoxalement, toutes les émotions qu’elle décrit nous semblent tout à fait compréhensibles et familières, y compris le respect et l’admiration des Ifaluks pour celui qui est maluwelu, c’est-à-dire calme et gentil, et non pas sigsig, de mauvais caractère, ce qui peut se comprendre dans une société où l’on vit à plusieurs centaines massés sur une étroite bande de territoire."

ANDRÉ Christophe et LELORD François, « La force des émotions » (2001/2003), Éd. Odile Jacob - édition poche n°114, 2011, p. 62

Fresque murale dans un temple Bouddhiste, Ladakh

jeudi 12 juillet 2012

Vivre privé d'émotions

"À la suite de lésions isolées de leur système nerveux, certaines personnes [décrites par Antonio Damasio, neurologue de renommée internationale, dans son ouvrage « L’Erreur de Descartes »] perdent la capacité de ressentir des émotions, tout en conservant intact le reste de leurs facultés. La plupart sont d’une humeur remarquablement égale, souvent d’une compagnie agréable, mais elles n’arrivent plus à construire ou à respecter un emploi du temps, à savoir ce qu’elles préfèrent, à choisir entre différentes solutions à un problème simple, à se sentir motivées par un projet. Sur le plan affectif, elles peuvent se désintéresser des relations avec les autres, ou bien se montrer exagérément familières ou entreprenantes, avec des résultats dommageables dans les deux cas. Car elles éprouvent aussi de grandes difficultés à reconnaître l’état émotionnel des autres, ce qui leur fait commettre fautes de tact et erreurs de jugement. Ces patients sont des exemples extrêmes et permanents de ce qui nous arrive à tous de temps en temps : commettre des erreurs parce que nous n’avons pas été attentifs à certaines de nos émotions ou parce que nous n’avons pas su comprendre celles des autres. « La capacité d’exprimer et de ressentir des émotions [fait] partie de notre raison, pour le meilleur et pour le pire », conclut Antonio Damasio. Les émotions, même désagréables, nous sont nécessaires !"

ANDRÉ Christophe et Lelord François, « La force des émotions » (2001/2003), Éd. Odile Jacob - édition poche n°114, 2011,p. 13

Peinture à l'entrée d'un temple bouddhiste, Ladakh

lundi 9 juillet 2012

Curieuses expériences sur le cerveau

"Deux chercheurs, Geoff Cohen et Greg Walton, ont distribué à leurs étudiants de l'université Yale la biographie de Nathan Jackson, un mathématicien réputé. Une fois sur deux, ils ont modifié la date de naissance de Jackson pour la faire coïncider avec celle de l'étudiant qui lirait le texte. Tous les élèves ayant pris connaissance de la biographie, il leur fut demandé de résoudre un épineux problème de mathématiques. Ceux dont la date d'anniversaire correspondait artificiellement avec celle du mathématicien ont consacré 65 % de temps de plus que les autres à sa résolution et ont, de fait, bien mieux réussi. « Ces élèves avaient éprouvé une forme de proximité avec Jackson et cela les avait motivés à l'imiter », explique David Brooks."

Le Point n°2071, 24 mai 2012, « Nos émotions nous manipulent… » par Émilie Lanez, p. 78



Meilleur à droite
 "Nos choix ne sont pas rationnels. Ils sont émotionnels. Ainsi les consommateurs pensent que les produits disposés sur le côté droit d'un étalage sont de meilleure qualité. Deux chercheurs, Timothy Wilson et Richard Nisbett, ont disposé quatre paires de collants identiques sur une table. Les clientes doivent les noter chacun. Résultat : plus le collant se situe à droite, meilleure est sa note. 40% des clientes ont donné la meilleure note au collant situé à l'extrême droite, 31% au suivant vers la gauche, 17% à celui d'après. Et 12% à celui de l'extrême gauche".

Le Point n°2071, 24 mai 2012, « Nos émotions nous manipulent… » par Émilie Lanez, p. 79


Téléphone mongol
"On demande à un groupe d'étudiants de noter les trois premiers chiffres de leur numéro de téléphone. Puis à tous les étudiants de deviner l'année de naissance de Gengis Khan. Ceux qui ont noté les trois premiers chiffres de leur numéro de téléphone ont été plus nombreux à répondre que l'empereur mongol a vécu au 1er millénaire. Soit à une époque qui s'écrit en trois chiffres…"

Le Point n°2071, 24 mai 2012, « Nos émotions nous manipulent… » par Émilie Lanez, p. 79


À notre insu
"Une perception donnée influe sur le comportement. À notre insu. On fait lire à des sujets une série de mots, vaguement liée au troisième âge (« Côte d’Azur, bridge, ancien »), ils quittent la salle en marchant plus lentement qu'à leur entrée. Si on leur donne une liste de mots tels que « grossier, irritant, intrusion », ils seront plus enclins à couper la parole à leur interlocuteur dans une conversation tenue, alors que l'expérience est supposée finie. Magique, cette influence marche dans les deux sens. Ainsi si on raconte à un étudiant qui s'apprête à subir un examen des histoires de succès éclatants, il réussira mieux. Si on emploie les mots « réussir, maîtriser, réaliser » dans une phrase, ses résultats seront meilleurs. Attention, si vous jouez sur les stéréotypes négatifs, l'inverse se produira".

Le Point n°2071, 24 mai 2012, « Nos émotions nous manipulent… » par Émilie Lanez, p. 79

vendredi 6 juillet 2012

S'entraîner au changement

Ce qu’on appelle « esprit » est un phénomène très curieux. Parfois rigide et réfractaire à tout changement, il peut aussi devenir très souple pourvu que l’on fasse de constants efforts pour le transformer et que l’on se convainque, par la réflexion, que ce changement est non seulement possible mais indispensable. Il ne suffit pas, pour cela, de faire des vœux ou des prières. Il faut que la raison intervienne en s’appuyant sur l’expérience. On ne doit pas non plus s’attendre à ce que cette transformation s’opère du jour au lendemain, car nos vieilles habitudes résistent à toute solution rapide.
(Sa Sainteté le XIVe dalaï-lama, cité par Matthieu Ricard, « Chemins spirituels, petite anthologie des plus beaux textes tibétains » (2010), Pocket n°14 777, 2011, p. 15)

Lézard, Arménie

lundi 2 juillet 2012

Prendre conscience du caractère précieux de la vie

Chaque instant de notre vie a une immense valeur. Pourtant, nous laissons s’écouler le temps qui nous reste comme de l’or fin entre nos doigts. Quoi de plus triste que de se retrouver les mains vides à la fin de sa vie ? Sachons reconnaître le caractère inestimable de chaque seconde de vie. Soyons assez intelligents pour décider d’en faire le meilleur usage, pour notre bien comme pour celui des autres. Avant tout, dissipons l’illusion qui consiste à croire que nous avons « toute la vie devant nous ». Cette vie passe comme un rêve qui peut s’interrompre à tout moment. Consacrons-nous donc sans plus attendre à l’essentiel pour ne pas être rongés de regret à l’heure de notre mort. Il n’est jamais trop tôt pour développer nos qualités intérieures.
La nature éphémère de toute chose se présente à nous sous deux aspects : l’impermanence grossière – le changement des saisons, l’érosion des montagnes, le vieillissement du corps, les fluctuations de nos émotions – et l’impermanence subtile, qui se manifeste au niveau de la plus petite unité de temps concevable. À chaque instant infinitésimal, tout ce qui semble exister de façon durable change inéluctablement. C’est à cause de cette impermanence subtile que le bouddhisme compare le monde à un rêve, une illusion, un flux perpétuel et insaisissable. (Matthieu RICARD, « Chemins spirituels, petite anthologie des plus beaux textes tibétains » (2010), Pocket n°14 777, 2011, p. 37-38)

Combien réalisent chaque matin le privilège de se réveiller et de voir, de sentir, de toucher, d’entendre, de ressentir ? Combien d’entre nous sont-ils capables d’oublier un instant leurs tracas pour s’émerveiller de ce spectacle inouï [qu’offre la nature] ? Il faut croire que la plus grande inconscience de l’homme, c’est celle de sa propre vie. (Marc Lévy, « Et si c’était vrai ? » (2000), Pocket n°11 063, 2008, p.128).

Si nous savions que, ce soir, nous allions devenir aveugles, nous jetterions alors un regard nostalgique, un vrai dernier regard à chaque brin d’herbe, à chaque formation de nuages, à chaque grain de poussière, à chaque arc-en-ciel, à chaque goutte de pluie, - à tout. (Pema Chödrön, , citée dans « Offrandes, 365 pensées de Maîtres bouddhistes » de Danielle et Olivier Föllmi, Éditions de La Martinière 2008, pensée du 21-03)

Coquelicot, vallée de Garni (Arménie)

dimanche 1 juillet 2012

Savoir s'arrêter

Nous nous disons souvent : « Ne reste donc pas assis comme ça, remue-toi ! » Mais si l’on pratique la pleine conscience, on découvre quelque chose d’inhabituel. On découvre que c’est peut-être le contraire qui est utile : « Arrête donc de remuer : assieds-toi. » Nous devons apprendre à nous arrêter de temps en temps pour y voir plus clair. Au début, « s’arrêter » peut sembler une résistance à la vie moderne … à tort. Ce n’est pas simplement une réaction : c’est une façon de vivre. La survie de l’humanité dépend de notre capacité à nous arrêter de courir. (Thich Nhat Hanh, « La sérénité de l’instant », préface du XIVème Dalaï-lama, J’ai Lu n°8863, 2009, p.53)

Rien n'est plus capable de nous faire entrer dans la connaissance de la misère des hommes, que de considérer la cause véritable de l'agitation perpétuelle dans laquelle ils passent toute leur vie.
Tout le malheur des hommes vient de ne savoir pas se tenir en repos dans une chambre. (Blaise Pascal, Pensées - XXVI. Misère de l'homme)

Bougies, Église de Sévanavank (Arménie)