jeudi 20 octobre 2011

Vivre les ailes repliées

... L’Occidental moyen d’aujourd’hui se sent mal à l’aise s’il se retrouve seul avec lui-même. La science, appliquée avec un phénoménal succès à la technique, a substitué, chez l’Occidental, à un idéal de conquête spirituelle de soi-même un idéal de conquête physique – de nature non humaine. L’Occidental moderne a donc tendance à consacrer à son travail la plus grande partie de son temps et de son énergie, ne limitant cette tendance que par des pratiques restrictives visant à protéger son travail d’une exploitation abusive par d’autres personnes ; le temps et l’énergie qui ne sont pas consommés pour travailler, se nourrir et dormir sont utilisés à une forme ou une autre de « loisir ». S’il n’a pas la possibilité d’un loisir de masse, il se tourne vers la télévision, la radio ou la chaîne hi-fi. Tout et rien est acceptable tant qu’il s’agit d’éviter « the flight of the alone to the alone ». Confronté à la mort sans croire à rien, l’homme moderne a délibérément replié ses ailes spirituelles."

Arnold TOYNBEE « Man’s concern with death », 1968


Faire de la place

"Moins on est plein de soi, plus il y a de place pour les autres."

Lama Surya Das

Mont Châteleu, Jura

La musique de l'âme

"La plupart des gens meurent avec leur petite musique encore enfermée en eux."

Benjamin Disraeli

Intégrer l'enseignement

"LAMA JIGMÉ : … Quand nous écoutons les instructions spirituelles qui nous sont données, nous comprenons bien entendu le sens des mots, mais il nous est difficile d’entrer pour de bon dans l’enseignement qu’elles recèlent, de le comprendre en quelque sorte de l’intérieur. Il nous manque une voie d’accès. Cette voie d’accès, c’est la méditation, qui nous permet de mettre réellement en pratique ce qui a été dit, de « travailler avec », d’en faire usage de la manière juste. C’est parce que le véritable sens des enseignements aura été intégré et appliqué que le résultat sera atteint".

« Le Moine et le Lama » , Dom Robert Le Gall – Lama Jigmé Rinpoché, entretiens avec Frédéric Lenoir (2001), Le Livre de Poche n°15512, 2003, p. 249


Tomates

Le but est accessible

"LAMA JIGMÉ – Dans le bouddhisme, nous sommes convaincus qu’il faut changer, progresser, se fixer pour objectif de sortir des mécanismes qui nous font sans cesse, à travers d’innombrables existences, suivre nos tendances habituelles, répéter les mêmes processus psychologiques et mentaux, tourner en rond et demeurer dans la souffrance, ce que nous appelons le samsara, le cycle des existences. Chacun peut comprendre, à travers une réflexion personnelle, que si l’on perpétue encore et encore les mêmes comportements, il n’y aura jamais de fin aux situations et aux circonstances que l’on rencontre. Tandis que si l’on perçoit clairement un but – nous le nommons la « réalisation », ou la « libération » –, et si l’on acquiert la certitude qu’en empruntant un chemin approprié, ce but est accessible à condition de déployer l’énergie nécessaire, alors on peut se détourner aisément des ornières où l’on avait l’habitude de s’enliser".

« Le Moine et le Lama » , Dom Robert Le Gall – Lama Jigmé Rinpoché, entretiens avec Frédéric Lenoir (2001), Le Livre de Poche n°15512, 2003, p.52-53


Etre comme une vache

"LAMA JIGMÉ : Je vois là une certaine parenté avec ce que nous appelons respectivement « l’écoute » (teupa en tibétain) et la réflexion (sampa en tibétain). D’abord, nous lisons ou écoutons les enseignements. Nous nous laissons imprégner par eux. Comme vous l’avez dit, père, nous laissons les instructions spirituelles s’imprimer en nous. Ensuite, nous devons « réfléchir » au sens des enseignements, à leur signification profonde, ce qui rejoint ce que vous appelez « méditation ». Et il ne s’agit pas là d’une réflexion purement intellectuelle. Certes, il est nécessaire de mettre l’enseignement à l’épreuve de notre raison, mais il convient de laisser aussi une compréhension s’approfondir et s’affermir en nous de manière que le sens de l’enseignement devienne réellement nôtre. Cette phase de « réflexion » précède la mise en pratique à travers la méditation proprement dite, telle que je l’ai décrite (gom en tibétain). Celle-ci s’effectue donc sur la base de l’écoute et de la compréhension engendrée par la « réflexion ».
DOM ROBERT LE GALL : … Une des mascottes des moines, si l’on peut dire, c’est la vache : elle broute et ensuite rumine ; de plus, les vaches vivent en clôture, comme nous ! On dit aussi que 1es vaches aiment à regarder passer les trains. Les trains, ce sont comme les pensées qui vont et viennent dans notre esprit ; quantité de pensées circulent, et on n’est pas responsable des pensées quand elles viennent. Mais par contre, si vous montez dans le train en marche – ce que font rarement les vaches –, vous êtes responsable de la destination vers laquelle vous vous êtes orienté.
LAMA JIGMÉ : L’image de la « rumination » que vous utilisez et qui est fort drôle, effectivement, me semble excellente. Elle correspond tout à fait à ce qui doit se passer lorsque nous pratiquons sampa [« la réflexion »], une « réabsorption » de l’enseignement qui devient partie intégrante de notre compréhension intérieure. En ce qui concerne votre description de l’attitude à adopter face aux pensées (au sens large des idées, des images, des concepts) lorsqu’on se livre à un exercice spirituel, elle correspond exactement aux instructions données dans bouddhisme pour la méditation telle que je les ai décrites auparavant : « Quand vous méditez, laissez les pensées aller leur chemin, ne les agrippez pas, laissez-les passer sans les juger, sans porter d’appréciation, et sans vous laisser aller à l’espoir ou à la crainte ; soyez simplement présent à tout ce qui se passe, et conscient du défilement des pensées qui s’élèvent puis disparaissent dans l’esprit… ».
… Lorsqu’on médite, on ne tente pas d’analyser ce qui se passe. Nous avons une image parlante dans la tradition : nous disons, pour évoquer les pensées qui vont et viennent durant la méditation, qu’elles sont comme des flocons de neige tombant sur une pierre chaude – instantanément, ils se dissolvent. C’est une métaphore servant à décrire le processus selon lequel, quand une pensée s’élève dans l’esprit, si on ne la saisit pas, si on ne la capte pas, si on ne la fige pas, elle se dissout et se résorbe d’elle-même. Donc, nous n’analysons pas les pensées, nous ne nous en saisissons pas, nous restons simplement conscients, présents, en éveil !"

« Le Moine et le Lama » , Dom Robert Le Gall – Lama Jigmé Rinpoché, entretiens avec Frédéric Lenoir (2001), Le Livre de Poche n°15512, 2003, p. 295-298