jeudi 22 septembre 2011

Persévérance

"LAMA JIGMÉ – … Comme le père Dom Le Gall, je pense qu’il y a effectivement partout, dans le champ religieux comme dans la vie laïque, un manque de persévérance et un besoin permanent de changement. Ce phénomène n’est d’ailleurs pas propre à l’Occident. En Asie, en Inde et au Népal par exemple, j’ai constaté les mêmes comportements. Les nouvelles générations semblent avoir ce genre de problèmes. Certains individus ont des personnalités très fortes, mais nombreux sont ceux pour qui la constance dans l’effort, dans l’activité, constitue une difficulté. Ils sont vite lassés par leur travail, leur engagement associatif, leur engagement familial, etc. C’est donc toute une conception traditionnelle de l’engagement, qui a fonctionné dans le passé, notamment dans la vie religieuse, qui est ébranlée par cette évolution. Je pense que celle-ci concerne également le Tibet aujourd’hui. La vieille génération que j’ai connue était incontestablement très forte, très solide, elle ne se laissait pas facilement déstabiliser par les émotions. Je m’interroge sur les raisons qui font que la nouvelle génération montre beaucoup plus de signes de fragilité."

« Le Moine et le Lama » , Dom Robert Le Gall – Lama Jigmé Rinpoché, entretiens avec Frédéric Lenoir (2001), Le Livre de Poche n°15512, 2003, p.348

Maisons traditionnelles Ladakh, Inde

Redéfinir les priorités

"Mon propos, je tiens à le redire en pensant particulièrement aux personnes laïques engagées dans l’existence, n’est nullement d’inciter à rejeter les aspects matériels de la vie, les possessions, la nécessaire détente, les plaisirs et les loisirs. Il est légitime d’organiser matériellement sa vie et de profiter, comme on dit, de ses bons côtés. De même, il peut être utile de se cultiver, de parfaire ses connaissances en matière philosophique, littéraire, artistique, scientifique, et de se donner également les moyens de participer à la vie de la cité. Mais j’ai la conviction que ces activités matérielles ou intellectuelles ne peuvent nous contenter véritablement que si elles s’exercent sur la base d’une mise en œuvre de notre potentiel de sagesse, que si l’on fait ainsi appel à notre sagesse intérieure. Nous ne serons véritablement comblés que si nous plaçons nos activités ordinaires dans une perspective spirituelle.
C’est une constatation d’évidence, qui vaut particulièrement – mais pas seulement – pour l’Occident, que la plupart des gens placent au premier plan de leurs préoccupations les aspects matériels, au second plan tout ce qui touche à la culture et au développement intellectuel, et relèguent à l’arrière-plan, si tant est que cet aspect ne soit pas totalement occulté, ce que je viens d’appeler l’usage de la sagesse. Il me semble que tout le monde pourrait trouver un grand bienfait à renverser l’ordre des priorités, à mettre au premier plan la mise en œuvre de la sagesse, et à placer la recherche des satisfactions culturelles, intellectuelle et matérielles respectivement aux second et troisième rangs. Lorsque je parle de ce nouvel ordre de priorités, je ne parle pas tant de la quantité de temps consacrée aux différentes activités, que de la force de l’intérêt et de l’attention portés à chacune d’entre elles. Je suis intimement convaincu que les êtres ne perdraient rien en adoptant cette nouvelle « hiérarchie des valeurs », et qu’au contraire ils y gagneraient beaucoup en efficacité, en justesse et en bien-être sur tous les plans. Non seulement ils ne perdraient rien et leur bien-être augmenterait, mais leur vie prendrait son vrai sens."


« Le Moine et le Lama » , Dom Robert Le Gall – Lama Jigmé Rinpoché, entretiens avec Frédéric Lenoir (2001), Le Livre de Poche n°15512, 2003, p. 148-150


Faut-il passer sa vie à se construire un terrier ?

"L’une des nouvelles les plus saisissantes de Franz Kafka décrit, avec de nombreux détails, les démarches qu’entreprend un étrange animal pour se construire une demeure parfaite qui lui permettrait de se protéger de tous les ennemis possibles et de trouver ainsi la paix. Or cette habitation grandiose n’est qu’un trou creusé dans la terre. Un trou et une prison.
Cette saisissante image est l’une des plus fortes qui n’ait jamais été faite de notre condition.  Car ce sombre personnage qui creuse sans répit son terrier, c’est chacun de nous ! Kafka ne raconte pas une histoire, comme le font d’ordinaire les écrivains. Il décrit les divers efforts que nous effectuons afin de construire un monde rationnel et ordonné qui permettrait de tenir à distance l’irrationalité inquiétante des événements et des êtres. Et Kafka, avec une lucidité fulgurante, montre combien ces efforts, quels que soient les résultats qu’ils nous permettent d’obtenir, ne font en vérité que nous enfermer toujours plus durement".

Site de l'Ecole Occidentale de Méditation - Newsletter Septembre 2011

lundi 19 septembre 2011

Bonheur relatif ou absolu

"LAMA JIGMÉ – Nous devons aborder le cheminement intérieur avec clarté et bon sens. Si, sans réflexion préalable, nous nous disons simplement : « D’accord, j’abandonne mes désirs, mes attentes, je ne recherche plus rien », cette manière de faire volontariste et un peu extrême va nous faire expérimenter d’autres problèmes et une autre forme d’insatisfaction. La compréhension doit venir de l’intérieur. Certes, d’un point de vue relatif, la satisfaction des désirs procure un contentement, et il se peut aussi que nous obtenions certains résultats tangibles dans notre quête ordinaire du bonheur. Mais notre vision doit devenir plus précise et plus profonde : que se passe-t-il vraiment en moi-même ? Où m’ont mené par le passé et où me mènent aujourd’hui mes actions répétées en vue de satisfaire, sans autre perspective, mes désirs et mes tendances ? La quête du bonheur est légitime, mais il convient de s’interroger sur les moyens employés pour obtenir les résultats auxquels nous aspirons. Nous devons aussi nous demander si notre recherche est uniquement centrée sur le relatif, ou si nous visons à un bonheur plus absolu.
… Si nous nous attachons à comprendre le fonctionnement des émotions perturbatrices, et tous les processus à l’œuvre dans l’esprit, alors notre esprit aura la possibilité de se libérer de cette forte saisie, cause de toutes nos difficultés. Relâcher la saisie ne signifie pas du tout, comme le redoutent certains, vivre dans un monde fade, sans saveur et sans éclat. Au contraire ! En effet, au fur et à mesure que nous progressons sur le chemin, notre esprit devient de plus en plus clair, de plus en plus lucide, nos actions gagnent en justesse et efficacité. … J’ajouterai que dans cette perspective d’un bonheur véritable, deux démarches sont intimement liées : se comprendre soi-même et comprendre les autres. C’est parce que nous nous comprenons de mieux en mieux que nous comprenons ce qui se passe chez les autres. Et notre amour et notre compassion en sortent renforcés. C’est la porte qui ouvre vers la paix intérieure et le vrai bonheur."

« Le Moine et le Lama » , Dom Robert Le Gall – Lama Jigmé Rinpoché, entretiens avec Frédéric Lenoir (2001), Le Livre de Poche n°15512, 2003, p. 148-149


Peinture à l'entrée d'un temple bouddhiste, Ladakh

Déwatchen

"LAMA JIGMÉ – Il existe, selon la tradition, de nombreux paradis ou « terres pures ». Mais « déwatchen » a cette particularité qu’il est bien plus facile d’y accéder qu’aux autres terres pures. C’est le fruit des souhaits altruistes intenses du Bouddha Amithaba, dont on dit symboliquement « qu’il règne sur déwatchen », c’est-à-dire qu’il y dispense sa grâce et ses enseignements. Le Bouddha Amithaba a émis des souhaits très puissants, tout au long de son chemin vers la bouddhéité, pour que le fruit de son éveil soit un paradis où les êtres puissent se rendre sans être forcément très élevés spirituellement, simplement par la force de leur confiance et de leur aspiration. Ainsi les pratiquants bouddhistes récitent « la prière pour renaître en déwatchen », qui décrit cette terre pure et contient différentes formules de souhaits, expression formelle de notre aspiration à renaître dans ce paradis. Une fois que vous avez pris renaissance en déwatchen, vous vous trouvez hors du champ des existences ordinaires, du samsara, et vous êtes assurés de ne plus jamais revenir en arrière. En revanche, en déwatchen, vous n’avez pas encore réalisé l’état de Bouddha, vous n’avez pas atteint l’Éveil. Les tendances héritées du passé sont encore présentes, mais beaucoup moins puissantes et prégnantes que durant la vie actuelle. Vous éprouvez toujours cette sensation du « je suis moi », et vous avez conscience de vous trouver en tant qu’individu dans cette terre pure que vous percevez comme réelle. Mais l’esprit, dorénavant libre des distractions et perturbations ordinaires, est dans une grande paix, et vous poursuivez de manière très aisée votre développement spirituel. Vous recevez de nombreux enseignements que vous assimilez avec facilité, et vous pratiquez et méditez jusqu’à atteindre l’état de Bouddha. Vous avez également la faculté, par vos prières ou différents autres moyens, d’aider de nombreux êtres en difficulté."

« Le Moine et le Lama » , Dom Robert Le Gall – Lama Jigmé Rinpoché, entretiens avec Frédéric Lenoir (2001), Le Livre de Poche n°15512, 2003, p. 189-190

Vous êtes partout

"Pensez-vous que la flamme de la bougie ne fasse que diminuer ? Si oui, vous suivez la flamme dans le temps. Vous pouvez penser la même chose à propos de votre durée de vie : qu’elle va dans une direction linéaire et se terminera un jour. Peut-être pensez-vous que vous êtes né à un point donné sur une ligne verticale, un point que vous pouvez appeler 1960, et que vous allez mourir un peu plus loin sur cette ligne, admettons en 2040. Vous vous voyez uniquement vous déplacer dans le temps, comme une bougie. Mais vous ne vous déplacez pas seulement dans une direction linéaire.
Peut-être pensez-vous que la flamme ne fait que diminuer et que la bougie va mourir. Mais la flamme se disperse aussi dans d’autres directions. Elle éclaire tout autour d’elle, vers le nord, le sud, l’est et l’ouest. Avec un instrument scientifique très sensible, vous pourriez mesurer la chaleur et la lumière émises par la bougie dans tout l’univers. La bougie entre en vous sous forme d’image, de lumière et de chaleur.
Vous êtes comme une bougie. Imaginez que vous émettez de la lumière autour de vous. Toutes vos paroIes, vos pensées et vos actions se répandent dans de nombreuses directions. …
En cet instant même, nous sommes en train de naître et de mourir. Nous sommes en train de renaître, non pas sous une seule forme mais sous de nombreuses formes Imaginez un feu d’artifice. Quand vous allumez un feu d’artifice, il ne va pas dans une direction verticale. Il va dans de nombreuses directions et les étincelles vont dans toutes les directions. Alors ne croyez pas que vous allez dans une seule direction. Vous êtes comme un feu d’artifice. Vous atteignez vos enfants, vos amis, la société et le monde entier.
… Si vous avez un ou plusieurs enfants, vous êtes déjà né à nouveau en eux. Vous pouvez voir votre corps de continuation dans votre fils ou votre fille mais vous avez de nombreux autres corps de continuation. Ils sont dans chaque personne que vous avez touchée. Et vous ne pouvez pas savoir combien de personnes vous avez touchées avec vos paroles, vos actions et vos pensées. …
Après avoir servi tout le thé, il ne reste dans la théière que les feuilles de thé infusées. Ces feuilles ne sont qu’une toute petite partie du thé, le thé qui rentre en moi étant une partie beaucoup plus importante. C’est la partie la plus riche.
Nous sommes pareils ; notre essence s’est répandue dans nos enfants, nos amis et l’univers tout entier. C’est dans ces directions que nous pourrons nous trouver, et non dans les feuilles de thé infusées. Je vous invite à vous voir, né à nouveau dans des formes que vous dites ne pas être vous-même. Vous devez regarder votre corps dans ce qui n’est pas votre corps."


Thich Nhat Hanh, « Il n’y a ni mort ni peur », Pocket n°12 436, 2011, p. 94-98



Lampes à huile dans un monastère, Ladakh


Un monde à construire

"Entre un monde qui décline et un autre à construire, se trouve une transition qu'il ne faut pas gâcher par notre inertie."

Pierre Rabhi


Agir contre la peur ambiante

"Il me semble qu’un bon moyen de cesser d’avoir peur est d’agir. Mener des actions justes, en cohérence avec ce que nous sommes, ce à quoi nous aspirons. Des actions qui nous font du bien. Nous avons peur que l’économie s’effondre ? Créons de nouveaux réseaux d’économie qui ne sont pas dépendants des banques ou des marchés. Nous avons peur que le pétrole nous fasse défaut ou qu’une de nos centrales nucléaires dysfonctionne ? Organisons-nous pour nous passer de pétrole et de nucléaire au maximum. Nous avons peur de perdre notre emploi ? Créons notre propre activité, qui nous épanouisse et soit durablement utile aux autres et à la nature. Bien sûr, ce n’est pas la seule façon d’affronter sa peur, ni même de la guérir, c’est simplement la mienne, lorsque je ne parviens pas à dormir…"

Cyril Dion (Directeur du mouvement Colibris)


Christianisme et bouddhisme

"LAMA JIGMÉ – Je crois que si l’on en reste seulement aux concepts, à la terminologie, chrétiens et bouddhistes n’arriveront jamais à se comprendre, encore moins à se rejoindre. Mais quand nous parlons plus en profondeur, comme nous le faisons actuellement, nous pouvons percevoir de réelles similitudes au-delà des mots eux-mêmes. Nulle part il n’est fait mention de « Dieu » dans la tradition bouddhiste. Ni pour affirmer son existence, ni pour l’infirmer. Vous aurez beau explorer tous les enseignements, nulle part vous ne trouverez non plus écrit que Dieu n’existe pas. En fait, la préoccupation du Bouddha n’était pas d’entrer dans des querelles théologiques sur l’existence ou la non-existence de Dieu, sur l’origine de l’univers, etc. Son principal objectif était d’apporter une voie de libération pour aider tous les êtres qui souffrent [maladie, vieillesse, mort, …] à sortir de l’ignorance [au sens relatif : état où l’esprit expérimente un manque de clarté, de discernement, de faculté de jugement : absence de conscience de ce qui se passe dans notre esprit, notre vie étant dès lors soumise à l’influence des « émotions perturbatrices » telles que l’orgueil, la jalousie, la haine,la colère, l’indifférence, …] et à atteindre l’Éveil (à réaliser la nature de Bouddha [épanouissement complet des potentialités de l’esprit, esprit parfaitement clair, lumineux : la nature essentielle de tout être humain]). Ainsi le bouddhisme ne proclame pas : « Dieu existe », ni, à l’opposé : « Dieu n’existe pas ». L’on s’exprime d’une manière, un peu différente en disant que tous les êtres ont le potentiel de l’Éveil, et que les humains en particulier jouissent de la faculté – en mettant en œuvre les méthodes qui sont enseignées – d’atteindre des réalisations spirituelles ultimes. Cependant, le fait de se mettre ou non en chemin, d’appliquer ou non les moyens appropriés, dépend de chacun. En cela, il me semble que nous rejoignons profondément ce que je crois avoir compris de la conception chrétienne : créé à l’image de Dieu, l’homme peut progresser spirituellement et parvenir jusqu’à un état d’union avec le divin où il « participera à la vie divine », pour reprendre précisément les termes de Dom Robert Le Gall. Je crois donc que nous disons des choses semblables, même si, dans le bouddhisme, la notion d’un Dieu unique, personnel et créateur, n’est pas présente. Mais, encore une fois, nous n’affirmons pas qu’il n’y pas de Dieu. Nous ne nous prononçons pas à ce sujet.
DOM ROBERT LE GALL – Si je comprends bien ce que vous voulez dire. Le bouddhisme n’est pas un « athéisme », une négation de Dieu, comme on le dit parfois en Occident, mais davantage une tradition agnostique, en ce sens qu’elle refuse de se prononcer sur la question de Dieu. Ou, plus précisément encore, peut-être pourrait-on parler d’une voie spirituelle « apophatique », qui renvoie au caractère ineffable, indicible de l’Absolu, et préfère se taire à son sujet plutôt que d’affirmer des choses au demeurant insaisissables par l’esprit humain."

« Le Moine et le Lama » , Dom Robert Le Gall – Lama Jigmé Rinpoché, entretiens avec Frédéric Lenoir (2001), Le Livre de Poche n°15512, 2003, p. 114-115

Niger

L'homme nouveau

"Lorsque la puissance de l'amour aura remplacé l'amour de la puissance, l'homme portera un nom nouveau: Dieu" 
 
Sri Shinmoy
 
 

Transformer les sentiments [émotions]

"La première étape de la transformation des sentiments consiste à les identifier au fur et à mesure qu’ils apparaissent. C’est la vigilance qui permet cela. Dans le cas de la peur, par exemple, votre vigilance va regarder la peur, la reconnaître comme telle. Vous savez que la peur vient de vous, tout comme la vigilance vient également de vous. L’une et l’autre sont en vous – mais l’une prend soin de l’autre.
La deuxième étape, c’est de ne faire qu’un avec le sentiment. Mieux vaut ne pas dire : « Va-t’en, la peur ! Je ne t’aime pas. Tu n’es pas moi. » Il est beaucoup plus efficace de dire : « Salut, la peur ! Comment ça va aujourd’hui ? » Vous pouvez alors inviter les deux aspects de vous-mêmes, la vigilance et la peur, à se serrer la main et à s’unifier. Faire cela peut être effrayant. Mais comme vous savez que vous êtes davantage que seulement votre peur, vous n’avez pas à être effrayé. Tant que la vigilance sera là, elle va chaperonner votre peur. La pratique fondamentale consiste à nourrir votre vigilance en respirant consciemment, afin de la garder là, vivante et forte. Même si la vigilance n’est pas très solide au début, si vous la nourrissez, elle va se renforcer. Tant que la vigilance est présente, vous ne vous noierez pas dans votre peur. En réalité, vous commencerez à la transformer dès l’instant où vous ferez émerger la vigilance en er la vigilance en vous.
La troisième étape consiste à calmer le sentiment. La vigilance prend soin de votre peur – et vous commencez à vous calmer. « J’inspire, je calme l’activité de mon corps et de mon esprit. » Vous calmez votre sentiment rien qu’en étant avec lui, comme une mère tiendrait tendrement son bébé qui pleure. Au contact de la tendresse de sa mère, le bébé se calme et cesse de pleurer. La mère, c’est votre vigilance, née dans le tréfonds de votre conscience – et elle va prendre soin de la douleur. Une mère qui tient son bébé ne fait qu’un avec son bébé. Si la maman pense à autre chose, le bébé ne se calmera pas. La mère doit mettre de côté tout le reste et simplement tenir son bébé. Alors n’évitez pas vos sentiments. Ne dites pas : « Tu n’es pas important, tu n’es qu’un sentiment. » Venez et ne faites qu’un avec lui. Vous pouvez dire : « J’expire, je calme ma peur. »
La quatrième étape consiste à lâcher son sentiment, à le laisser partir. Grâce à votre calme, vous vous sentez bien, même au milieu de la peur et vous savez que votre peur ne va pas se mettre à grandir et vous submerger. Quand vous réalisez que vous êtes capable de prendre soin de votre peur, celle-ci est déjà réduite au minimum, devenant plus douce et un peu moins désagréable. Maintenant, vous pouvez sourire et la laisser partir – mais s’il vous plaît, ne la faites pas encore complètement disparaître. Apaisement et lâcher-prise ne font que traiter les symptômes. Vous avez maintenant l’opportunité d’aller plus loin et de travailler à transformer la source de votre peur.
La cinquième étape consiste en l’approfondissement. Vous regardez pleinement votre bébé - votre sentiment de peur – pour voir ce qui ne va pas. Faites-le, même une fois que le bébé a cessé de pleurer, une fois que la peur est partie. Vous ne pourrez pas tenir votre bébé tout le temps : vous devez donc bien le regarder pour savoir ce qui ne va pas. En regardant, vous découvrirez comment transformer le sentiment. Vous réaliserez par exemple que la souffrance de la peur a bien des causes, en vous et hors de vous. C’est la même chose avec l’enfant. Si quelque chose ne va pas dans son environnement, vous y remédiez avec sollicitude pour qu’il se sente mieux. En regardant bien votre bébé, vous distinguez les éléments qui le font pleurer : ainsi, vous savez quoi faire et ne pas faire. Et de même avec vos sentiments : vous pouvez les transformer et vous en affranchir.
C’est un processus similaire à la psychothérapie. Au côté de son patient, un thérapeute cherche la nature de la souffrance. Souvent, le thérapeute peut révéler les causes d’une souffrance. Celle-ci provient de la façon dont le patient regarde les choses, des croyances qu’il a sur lui-même, sur sa culture et sur le monde en général. Le thérapeute examine ces points de vue et ces croyances avec le patient. Ce travail commun aboutit alors à libérer le patient de la prison dans laquelle il est enfermé. Mais les efforts du patient sont cruciaux. Un professeur doit faire naître un professeur dans son élève – et un psychothérapeute doit savoir éveiller le psychothérapeute qui sommeille chez son patient.
Le thérapeute ne traite pas le patient en lui offrant simplement un ensemble de nouvelles croyances. Il essaie de l’aider à voir quelles idées et croyances l’ont amené à souffrir ainsi. Beaucoup de patients veulent se débarrasser de leurs émotions douloureuses, mais ils ne veulent pas abandonner leurs croyances et points de vue qui sont les racines mêmes de leurs souffrances. Thérapeute et patient doivent alors travailler ensemble pour que le patient voie les choses telles qu’elles sont. C’est la même chose quand on utilise la vigilance pour transformer nos sentiments. Après avoir identifié le sentiment, nous être unis à lui, l’avoir calmé et l’avoir lâché, on peut regarder plus profondément les causes, qui sont souvent basées sur des perceptions erronées. Dès que nous comprenons les causes et la nature de nos sentiments, ceux-ci commencent à se transformer d’eux-mêmes."

Thich Nhat Hanh, « La sérénité de l’instant », préface du XIVème Dalaï-lama, J’ai Lu n°8863, 2009, p. 69-73



 

  

dimanche 11 septembre 2011

Les "nourritures émotionnelles"

"Nous sommes nombreux à avoir sans cesse le besoin de faire quelque chose : écouter de la musique, regarder la télévision, lire un livre, un magazine, téléphoner… En voulant nous occuper à tout prix, nous essayons d’éviter de nous retrouver face aux problèmes et aux angoisses qui sont dans notre sous-sol [conscience enfouie]. Mais si nous observons attentivement la nature de nos invités –la télévision, les livres, le téléphone…– nous remarquerons qu’ils contiennent souvent les mêmes toxines que les graines négatives que nous essayons tellement d’éviter. Même lorsque nous empêchons ces graines négatives d’entrer au salon [conscience immédiate], nous les arrosons et les rendons plus puissantes."
Thich Nhat Hanh, « La sérénité de l’instant, vivre en pleine conscience », Marabout n°3655, 2011, p.34-35


Qu'est-ce que la libération?

"De temps à autres, Swâmiji me demandait: Do you know what is moksha, Arnaud? - "Savez-vous ce qu'est la libération, Arnaud?" Je me gardais bien de répondre et de donner une des définitions classiques de moksha, pour attendre sa réponse à lui. Moksha, le Suprême accomplissement possible à l'homme, est toujours décrit en termes de transcendance, d'infini, d'illimitation, d'éternité. Swâmiji en donnait des définitions beaucoup plus simples, beaucoup plus accessibles et beaucoup plus bouleversantes, que je recevais toujours comme un choc en plein cœur. Un jour, à ce : "Do you know what is moksha, Arnaud?" - "Savez-vous ce qu'est la libération, Arnaud?" -, Swâmiji répondit: "Complete release of all tensions, physical, emotional and mental", - "Le relâchement complet de toutes les tensions physiques, émotionnelles et mentales."

Arnaud Desjardins, A la recherche du Soi, la Table Ronde, p. 175

L'état de vigilance est contagieux

"Même si je suis sous le coup d'une émotion, une petite part de moi est capable de participer à cette prise de conscience , et j'éprouve: "J'existe, c'est moi, je vis, je suis là." Et, du fait même que j'éprouve: "Je suis là", je porte mon attention vers ce qui m'entoure, je le vois d'une façon nouvelle. Parce que je deviens plus conscient de moi, je deviens aussi plus conscient de ce qui m'entoure. Je suis là, je suis en train de regarder cette statue. Il y a donc une certaine division de l'attention, une part de l'attention est portée sur je suis moi, une part de l'attention sur la statue que je suis en train de regarder. Je suis là, en train de regarder : c'est une part de l'attention. Par rapport à l'état habituel dans lequel l'homme ordinaire vit toute la journée, l'état que je décris est inhabituel, même si, avec une attention aiguë, tout le monde peut en faire l'expérience.
Mais la vérité est que cette division de l'attention est pratiquement impossible à maintenir.
(...) Dans les conditions ordinaires de la vie, pour celui qui va vivre au milieu de gens non attentifs, c'est une tâche presque impossible. pourtant cette attention, cette vigilance, ont quelque chose de contagieux. Si cinq ou six personnes qui ont une petite expérience de la méditation ou de la présence à soi-même sont prises dans leurs pensées ou par ce qu'elles regardent, sont absorbées, identifiées, confondues, sans conscience de soi, et que l'une d'elles s'éveille pour un moment et, pour un moment accède à la conscience de soi et s'y maintient, au bout de quelques instants, ceux qui l'entourent ressentent, perçoivent quelque chose, s'ils ne sont pas totalement emportés."

Arnaud Desjardins, "A la recherche du Soi", La Table Ronde, p.158, 159

Qu'est-ce que l'éveil?

"L'état d'Éveil n'a rien d'une réalité tangible, d'une sorte de havre paradisiaque. C'est la qualité intrinsèque de l' esprit révélée dans toute l'ampleur de son potentiel positif. Pour atteindre cet état d'éveil, le pratiquant doit donc commencer par éliminer de son esprit toutes les facettes négatives, et cultiver une à une les qualités positives... On en arrive à un point de non-retour des émotions perturbatrices et des obstructions mentales: quoi qu'il arrive, elles ne se reproduiront plus."

Dalaï-lama, "L'esprit en éveil", Pocket n°14287, 2011, p.80-81


Le Bouddhisme...philosophie ou religion?

"On a beaucoup discuté pour savoir si le Bouddhisme est une religion ou une philosophie, et la question n’a jamais été tranchée. Posée en ces termes, elle ne peut avoir de sens que pour un Occidental. Il n’y a qu’en Occident où la philosophie soit une simple branche du savoir, comme les mathématiques ou la botanique, où le philosophe soit un monsieur, généralement un professeur, qui étudie durant son cours une certaine doctrine, mais qui, rentré chez lui, vit exactement comme son notaire ou son dentiste, sans que la doctrine qu’il enseigne ait la moindre influence sur son comportement dans la vie. Il n’y a qu’en Occident où la religion ne soit, chez la grande majorité des fidèles, qu’un petit compartiment que l’on ouvre à certains jours, à certaines heures ou dans certaines circonstances bien déterminées, mais que l’on referme soigneusement avant d’agir.
S’il existe aussi en Orient des professeurs de philosophie, un philosophe y est un maître spirituel qui vit sa doctrine, entouré de disciples qui veulent la vivre à son exemple. Sa doctrine n’est jamais pure curiosité intellectuelle, elle n’a de valeur que par sa réalisation. À quoi bon désormais se demander si le Bouddhisme est une philosophie ou une religion ? Il est un chemin, une voie de salut, celle qui mena le Bouddha à l’Éveil ; il est une méthode, un moyen d’atteindre à la libération par un travail mental et spirituel intense".

André Migot, « Le Bouddha », Éditions Complexe n°57, 1994, p. 143 ; cité par Matthieu Ricard, in Matthieu Ricard/Jean-François Revel, "Le moine et le philosophe", Pocket n°10346, 2004

Monastère, Ladakh, Inde



Les rappels quotidiens

"Les premiers mois de votre pratique peuvent manquer de constance, car il est naturel d’oublier de pratiquer la Pleine Conscience de temps en temps. Mais vous pouvez toujours recommencer. Si vous avez un compagnon de pratique, vous avez beaucoup de chance. Des amis qui pratiquent ensemble se rappellent souvent les uns les autres de pratiquer la Pleine Conscience, et ils peuvent partager leurs expériences et leurs progrès. La Pleine Conscience peut être nourrie en vous par de nombreux moyens variés. Vous pouvez accrocher une feuille d’automne, que vous aurez ramassée dans votre cour, au miroir de la salle de bains, et chaque matin, quand vous la verrez, elle vous rappellera de sourire et de revenir à la Pleine Conscience. Pendant que vous vous laverez le visage ou que vous vous brosserez les dents, vous serez détendu et en Pleine Conscience. La cloche de l’église voisine ou l’horloge de l’hôtel de ville, voire le téléphone peuvent aussi vous ramener à la Pleine Conscience. Je vous recommande de laisser le téléphone sonner deux ou trois fois avant de répondre, pendant que vous inspirez et expirez et que vous prenez le temps de retourner à votre vrai soi".

Thich Nhat Hanh, « La vision profonde, De la pleine conscience à la contemplation intérieure », Albin Michel n°131, 2009), p. 177-178

Instruments de cérémonie bouddhistes, Ladakh