lundi 27 juin 2011

Prière quotidienne

"Dalaï-lama : L’une des prières clés, source d’inspiration, que les bouddhistes récitent chaque jour est : « Puisse toute personne qui entre en contact avec moi, soit qu’elle entende parler de moi, soit qu’elle me voie, soit qu’elle pense à moi, en tirer un bénéfice et connaître le bonheur".C’est une partie importante de la prière quotidienne".

Dalaï-lama, entretien avec Paul Ekman, « La voie des émotions », City Poche, 2008, p. 417-418



Dialogue avec le Dalaï-Lama sur les émotions

"Dalaï-lama : ... Quand on étudie les émotions et qu’on essaie de comprendre celles qui sont destructrices (afflictives) et celles qui ne le sont pas, il ne s’agit pas tant de la nature des émotions elles-mêmes, mais plutôt de savoir dans quelle mesure ces émotions sont réalistes et appropriées aux conditions données, et dans quelle mesure elles sont irréalistes. Quand une émotion devient irréaliste, elle tend à être afflictive, ce qui est destructeur.
Paul Ekman : Je conviens tout à fait que chaque émotion peut être exprimée de manière constructive ou destructrice.
Pour avoir un choix sur la manière d’exprimer une émotion, il faut être conscient de l’émotion au moment où elle monte, de «l’étincelle avant la flamme », ou, en termes occidentaux, de l’impulsion avant l’action. Alors, si vous êtes pleinement conscient qu’une émotion est en train de naître, vous devriez être capable d’ajuster votre réaction tant dans son ampleur que dans le mode de réponse.
Dalaï-lama : (Traduit du tibétain) C’est très vrai, parce qu’on trouve dans les textes de méditation le rôle des deux principales facultés qui sont appliquées en permanence – la première est la pleine conscience et l’autre est ce qu’Alan Wallace appelle la « méta-attention », une forme de conscience de soi.
Le rôle de la conscience de soi, cette méta-attention, est de former le pratiquant pour qu’il arrive à un point où il est capable de détecter, avant même que l’émotion réelle ne se développe, une tendance vers cette émotion. Plus vous êtes entraîné, plus vous êtes capable de déceler tôt le potentiel de naissance de cette émotion.
Paul Ekman : Nous sommes d’accord sur le fait que les émotions peuvent être afflictives ou non afflictives. Si elles sont afflictives, il y a distorsion ; elles ne sont pas en phase avec la réalité. Vous êtes d’accord ?
Dalaï-lama : Oui.
Paul Ekman : Et si elles sont non afflictives, elles sont adaptées à la réalité ; pas de distorsion.
Dalaï-lama : Oui. C’est ça.
Paul Ekman : Qu’est-ce qui fait que l’émotion se présente comme afflictive ou non ? Ce que je propose est qu’à la première apparition d’une émotion, un étrécissement de l’attention survient, et des informations vitales qui ne semblent pas être en rapport avec l’émotion qui a surgi sont écartées de la perception de la personne. Chez quelqu’un de très compétent émotionnellement, cet étrécissement de l’attention ne dure que quelques fractions de seconde. Chez la plupart des gens, il perdure tout au long de l’émotion, de sorte qu’ils ressentent une émotion déformée, afflictive.
Vous agissez sur la base d’informations insuffisantes, seulement une partie de ce qui se passe. La clé, en termes occidentaux, est la « conscience active », être conscient de ce dont vous avez conscience".



Dalaï-lama, entretien avec Paul Ekman, « La voie des émotions », City Poche, 2008, p. 73-75

Compassion envers nos semblables et envers les animaux

"A mesure que l’homme avance en civilisation et que les petites tribus se réunissent en communautés plus nombreuses, la simple raison indique à chaque individu qu’il doit étendre ses instincts sociaux et sa sympathie à tous les membres de la même nation, bien qu’ils ne lui soient pas personnellement connus. Ce point atteint, une barrière artificielle seule peut empêcher ses sympathies de s’étendre à tous les hommes de toutes les nations et de toutes les races. L’expérience nous prouve, malheureusement, combien il faut de temps avant que nous considérions comme nos semblables les hommes qui diffèrent considérablement de nous par leur aspect extérieur et par leurs coutumes. La sympathie étendue en dehors des bornes de l’humanité, c’est-à-dire la compassion envers les animaux, paraît être une des dernières acquisitions morales. …
... Cette qualité, une des plus nobles dont l’homme soit doué, semble provenir incidemment de ce que nos sympathies, devenant plus délicates à mesure qu’elles s’étendent davantage, finissent par s’appliquer à tous les êtres vivants. Cette vertu, une fois honorée et cultivée par quelques hommes, se répand chez les jeunes gens par l’instruction et par l’exemple, et finit par faire partie de l’opinion publique".

Charles Darwin, La descendance de l’homme et la sélection sexuelle, Traduit de l’anglais par Edmond Barbier d’après la seconde édition anglaise revue et augmentée par l’auteur, 1874, Paris, Librairie C. Reinwald, Schleicher Frères, Éditeurs, 1876, p. 132

Contrôler ses pensées

"Nous atteignons le plus haut degré de culture morale auquel il soit possible d’arriver, quand nous reconnaissons que nous devons contrôler toutes nos pensées et « que nous ne regrettons plus, même dans notre for intérieur, les errements qui nous ont rendu le passé si agréable. » Tout ce qui familiarise l’esprit avec une mauvaise action en rend l’accomplissement plus facile, ainsi que l’a dit il y a fort longtemps Marc-Aurèle : « Telles sont tes pensées habituelles, tel sera aussi le caractère de ton esprit ; car les pensées déteignent sur l’âme. » 

Charles Darwin, La descendance de l’homme et la sélection sexuelle, Traduit de l’anglais par Edmond Barbier d’après la seconde édition anglaise revue et augmentée par l’auteur, 1874, Paris, Librairie C. Reinwald, Schleicher Frères, Éditeurs, 1876, p. 132; Marc-Aurèle, « Pensées pour moi-même », Livre V, XVI



Un état de paix, sans pensées

"Demandez à plusieurs personnes de raconter des épisodes de « parfait » bonheur : certains parlent de moments de paix profonde ressentie dans un environnement naturel harmonieux, dans une forêt où filtrent des rayons de soleil, au sommet d’une montagne face un vaste horizon, au bord d’un lac tranquille, lors d’une marche de nuit dans la neige sous un ciel étoilé, etc. D’autres mentionnent un événement longtemps attendu : la réussite d’un examen, un triomphe sportif, la rencontre avec une personne qu’ils ont ardemment souhaité connaître, la naissance d’un enfant. D’autres enfin parlent d’un moment d’intimité paisible vécu en famille ou en compagnie d’un être cher, ou le fait d’avoir rendu quelqu’un heureux.
Il semble que le facteur commun à ces expériences fertiles mais fugitives soit la disparition momentanée de conflits intérieurs. La personne se sent en harmonie avec le monde qui l'entoure et avec elle-même. Pour celui qui vit une telle expérience, comme de se promener dans un paysage enneigé, les points de référence s'évanouissent : en dehors de l'acte simple de marcher, il n'attend rien de particulier. il « est » simplement, ici et maintenant, libre et ouvert. L'espace de quelques instants, les pensées du passé ne surgissent plus, les projets du futur n'encombrent plus l'esprit, et le moment présent est affranchi de toute construction mentale. Ce moment de répit durant lequel tout état d'urgence émotionnel disparaît est ressenti comme une paix profonde. Pour celui ou celle qui a atteint un but, achevé une œuvre, remporté une victoire, la tension longtemps présente cesse. Le lâcher-prise qui s’ensuit est ressenti comme un profond apaisement, libre de toute attente et de tout conflit.
Mais il ne s’agit là que d’une éclaircie éphémère provoquée par des circonstances particulières. On parle alors de moment magique, d’état de grâce. … Il est possible, toutefois, de tirer profit de ces instants fugitifs, ces répits dans nos luttes incessantes, dans mesure où ils nous donnent une idée de ce que peut être la véritable plénitude et nous incitent à reconnaître les conditions qui la favorisent".


Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour le bonheur », Pocket n°12 276, 2005, p. 14-15



La méditation, un analgésique efficace ?

"Les adeptes de la méditation zen seraient moins sensibles à la douleur. Une étude canadienne a confronté deux groupes de personnes, les unes pratiquant régulièrement la méditation, les autres non. Les participants ont été soumis à un test de résistance à la douleur. Une plaque chauffante a été appliquée sur leurs mollets. La température a été augmentée progressivement jusqu’à la limite du tolérable pour chacun. Les personnes du groupe pratiquant la méditation avaient un seuil de tolérance plus élevé que celles du groupe témoin. C’est en maîtrisant leur respiration (environ douze inspirations par minute) qu’ils ont pu réduire de 18 % l’intensité de la douleur. Ces résultats montrent que la méditation telle que l’enseigne le bouddhisme pourrait avoir de réels effets analgésiques. " (1)

"Pain sensitivity and analgesic effects of mindful states in zen meditators" de Joshua A. Grant et Pierre Rainville, in Psychosomatic Medicine, janvier 2009.

vendredi 17 juin 2011

La persévérance

« On ne se construit que sur les projets que l’on réalise. Aller au pôle Nord, c’est l’extrême. Mais poser des étagères dans ses toilettes, c’est pareil. Pendant des mois, vous traînez avec l’idée qu’il faut les poser, et un samedi matin, vous vous décidez, vous achetez les planches et vous le faites. Et tout le monde connaît ce sentiment de satisfaction qui suit cette réalisation. Le pire avec les listes [de choses à faire], c’est de ne pas les suivre, c’est d’investir un champ, de ne pas aller au bout et d’en conserver une cicatrice de frustration. Il faut fermer le cycle des choses que l’on entreprend. Quand je vais dans les écoles, je demande toujours : « Qui a commence un modèle réduit et ne l’a jamais fini ? » La plupart des garçons lèvent la main. Je leur dis : « Vous allez rentrer chez vous et le terminer ! »

Dr Jean-Louis Étienne, Psychologies magazine avril 2010 p. 112

« Je suis issu d’une formation de chirurgien, donc face à la douleur, mon premier réflexe est de soulager. Souffrir vous pompe vos énergies, vous coupe du monde, vous blesse. Après, il est possible d’apprendre à mentaliser, à visualiser pour faire baisser la diffusion de la douleur. Mais si j’explore ces méthodes pour moi-même, je ne Ies impose pas. Par exemple, j’ai suivi beaucoup de thérapies comportementales pour arriver à m’adapter au froid. J’ai ainsi développé une aptitude à faire descendre ou remonter ma température, c’est-à-dire à agir sur mon flux sanguin. Le mental a une influence colossale sur le corps, et la pensée peut peser sur la physiologie. Je le vérifie tous les jours. »

Dr Jean-Louis Étienne, Psychologies magazine avril 2010 p. 155

jeudi 16 juin 2011

Pouvoir nommer ses émotions

"-Dalaï-lama : En tibétain nous avons deux termes différents [pour désigner le concept d’orgueil]. Cet état est appelé « popa », qui correspond l’anglais « pride ». Puis la suffisance, plus négative, appelée « ngagyal », qui signifie littéralement « victoire personnelle ».
-Paul Ekman : Je ne connais pas assez bien les autres langues pour en parler, mais l’anglais me semble assez pauvre dans sa dénomination des différentes émotions. Si nous n’avons pas de mots pour décrire les états différents, comme ces deux mots en tibétain, alors on ne peut pas y penser et les anticiper. On ne peut pas se discipliner autant parce que nous ne disposons pas des mots qui se réfèrent à ces émotions. Sans mots, on ne peut pas réfléchir sur ce qui s’est passé ou pourrait se passer.
Nous sommes, en un certain sens, des animaux qui ne disposent pas, au moins en anglais, d’assez de mots pour décrire la diversité de notre expérience émotionnelle, notamment quand ces émotions sont destructrices contre constructives. Sans les noms différents pour chaque état mental, il est difficile de pouvoir réfléchir à leur nature et à notre façon de s’exprimer dans des épisodes émotionnels futurs.
À l’automne 2000, B. Alan Wallace, Matthieu Ricard, Richard Davidson et moi avons passé cinq jours dans un cabanon à la campagne, à écrire un article intitulé « Buddhist and Psychological Perspectives on Emotions and Well-Being » (Bouddhisme et perspectives psychologiques sur les émotions et le bien-être) ». L’un des premiers points de cet article est le concept de « sukha ». Dans la littérature bouddhiste, le « sukha » est défini comme un état d’épanouissement qui émane d’un équilibre mental et d’une compréhension de la nature de la réalité. Plutôt qu’une émotion ou une humeur fugitive provoquée par des stimuli sensoriels et conceptuels, le « sukha » est un trait durable qui provient d’un esprit dans un état d’équilibre et qui implique une conscience non structurée et non filtrée de la vraie nature de la réalité. Nous n’avons rien qui ressemble à ce concept en anglais. Cela ne veut pas dire qu’il n’existe pas, mais nous n’avons pas de nom pour ça".

Dalaï-lama, entretien avec Paul Ekman, « La voie des émotions », City Poche, 2008, p. 89-90

Garder nos trois portes

"L'attention est très importante : il faut être constamment « en alerte », attentif à ses actes, ses réactions, sa conduite, pour pouvoir donner le « coup de barre nécessaire »....  Pensons toujours à garder nos « trois portes » : corps, parole, esprit."

Dalaï-lama, « Enseignements essentiels », Albin Michel 1989, p. 122

Comment supporter la douleur?

"Une synthèse des résultats publiés dans une cinquantaine d’articles scientifiques (1) a montré que, dans 85 % des cas, le recours aux méthodes mentales augmente la capacité à supporter la douleur. Parmi ces diverses techniques, l’imagerie mentale s’est avérée la plus efficace, encore que cette efficacité varie en fonction des supports visuels. On peut ainsi visualiser une situation neutre (imaginer que l’on écoute attentivement une conférence) ou agréable (se voir dans un endroit plaisant, devant un superbe paysage). Il existe d’autres méthodes destinées à distraire le patient de sa douleur, telles que la concentration sur un objet extérieur (regarder une projection de photographie), la pratique d’un exercice répétitif (compter de cent à zéro, de trois chiffres en trois chiffres), ou l’acceptation consciente de la douleur ; toutefois ces trois dernières méthodes ont donné de moins bons résultats. L’interprétation proposée pour expliquer cette disparité est que l’imagerie mentale mobilise davantage l’attention et est ainsi plus apte à distraire le malade de sa douleur que les méthodes fondées sur des images extérieures, un exercice intellectuel ou une attitude. Un groupe de chercheurs a établi qu’au terme d’un mois de pratique guidée d’imagerie mentale, 21% des patients attestent une amélioration notable de leur migraine chronique, contre 7% du groupe contrôle, qui n’a pas suivi l’entraînement (2)."
Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour le bonheur », Pocket n°12 276, 2005, p. 79
(1)  Voir Ephrem Fernandez et Dennis C. Turk : « The utility of cognitive coping strategies for altering pain perception : a meta-analysis. » in Pain, 38 (1989) 123-135. 
(2)  2. Lisa K. Mannix, Rohit.S. Chadurkar, Lisa A. Rubicki, Diane L. Tusek et Glen D. Solomon : « Effect of guided imagery on quality of life for patients with chronic tension-type headache », in Headache, 1999, 39 : 326-334. Les mêmes techniques ont été utilisées pour réduire les symptômes postopératoires, les douleurs intenses dues au cancer et les nausées provoquées par la chimiothérapie. 


Du sommeil à l’éveil

"Un professeur de sciences Politiques me demanda un jour à quoi je pensais quand je méditais. Je lui répondis : « Je ne pense à rien. » Je lui dis que j’étais seulement attentif à ce qu’il y avait autour de moi, à ce qui se passait en moi. Il se montra sceptique, mais c’est la vérité. Quand je pratique la méditation assise, je n’utilise pratiquement pas mon intellect. Je n’essaye pas d’analyser les choses ou de résoudre des problèmes complexes, comme des questions mathématiques ou des énigmes. Même si j’examine un kung-an (koan en japonais), je lui permets juste d’être là et je le contemple, sans chercher à l’expliquer ou à l’interpréter, parce que je sais qu’un kung-an n’est pas une devinette dont il faut trouver la solution. Examiner, quand on parle de la Pleine Conscience, ne veut pas dire analyser. Cela signifie simplement une reconnaissance continuelle. Penser demande un travail mental exténuant, et nous fatigue. Ce n’est pas le cas quand on s’établit dans la Pleine Conscience ou « reconnaissance ». Nous avons tendance à penser que la méditation demande une grande mobilisation de « matière grise ») mais ce n’est pas vraiment le cas. Un méditant n’effectue aucun labeur mental. Au contraire, la méditation repose l’esprit.
Depuis le début de notre conversation, à aucun moment je n’ai demandé à mon ami d’utiliser sa « matière grise ». Je l’ai seulement invité à « voir », à « reconnaître » des choses avec moi. Pour arriver à cela, nous avons à nous concentrer mais pas à analyser. Nous devons rester attentifs, sans spéculer ni interpréter. Être attentif signifie porter simplement attention. C’est un véhicule qui peut vous mener du sommeil à l’éveil. Si vous ne savez pas que vous êtes en colère, que vous éprouvez quelque chose, que vous pensez, que vous êtes assis, et ainsi de suite, vous êtes endormi. Dans son roman L’Étranger, Albert Camus décrit son anti-héros comme un homme qui « vit comme un mort ». C’est comme vivre dans une pièce sombre sans la lumière de la Pleine Conscience. Quand vous allumez la lampe de la Pleine Conscience, vous passez du sommeil à l’éveil. Le verbe buddh en sanscrit signifie « s’éveiller », et celui qui s’éveille est appelé un Bouddha. Un Bouddha est une personne qui est toujours éveillée. De temps en temps, nous accédons à cette conscience, aussi nous sommes des Bouddhas « occasionnels ». 


Thich Nhat Hanh, « La vision profonde, De la pleine conscience à la contemplation intérieure », Albin Michel n°131, 2009, p. 47-49

Emotivité

"(...)des études du comportement ont montré que les personnes les plus aptes à maîtriser leurs émotions (en les contrôlant sans pour autant les réprimer) sont aussi celles qui manifestent le plus souvent un comportement altruiste lorsqu’elles sont confrontées à la souffrance des autres(3). La majorité des personnes hyper-émotives sont davantage préoccupées par leur trouble à la vue des souffrances dont elles sont le témoin que par la manière dont elles pourraient y remédier."

Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour le bonheur », Pocket n°12 276, 2005, p. 133

Vitrail du musée de l'école de Nancy (à Nancy)

vendredi 3 juin 2011

Certitudes

"Si vous avez des certitudes, alors obligez-vous à considérer le problème sous un angle différent, même si cela paraît idiot ou absurde."
(N.H Kleinbaum : Le cercle des poètes disparus)

La fontaine "boule", curiosité du village de la Roche des Arnauds (05)

La spirale des émotions

"Ne pourrait-on pas simplement laisser les émotions négatives s’épuiser d’elles-mêmes ? L’expérience montre que, comme une infection non traitée, les émotions perturbatrices gagnent en puissance dès qu’on leur donne libre cours. Laisser exploser la colère, par exemple, tend à créer un état psychologique instable qui rend de plus en plus irascible. Les conclusions d’études psychologiques(1) vont à l’encontre de l’idée reçue selon laquelle en donnant libre cours à ses émotions on fait baisser temporairement la tension accumulée. En vérité, du point de vue physiologique, c’est tout le contraire qui se produit. Si l’on évite de laisser la colère s’exprimer ouvertement, la tension artérielle diminue (et elle diminue encore davantage si l’on adopte une attitude amicale), mais elle augmente si on la laisse exploser(2).
En laissant systématiquement ses émotions négatives s’exprimer, on contracte des habitudes dont on sera à nouveau la proie aussitôt que leur charge émotionnelle aura atteint le seuil critique. En outre, ce seuil s’abaissera de plus en plus et l’on se mettra de plus en plus facilement en colère. Il en résultera ce qu’on appelle banalement un « mauvais caractère », accompagné d’un mal-être chronique".


Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour le bonheur », Pocket n°12 276, 2005, p. , p. 132-133

Les émotions sont-elles des maladies?

"Selon le bouddhisme, maîtriser l’esprit consiste entre autres choses à ne pas laisser ses émotions s’exprimer sans discrimination. Un torrent dont on a stabilisé les berges peut manifester sa vigueur sans pour autant dévaster la campagne environnante. Comment ôter aux émotions conflictuelles leur pouvoir aliénant sans devenir insensible au monde, sans ternir les richesses de l’existence ? Si l’on se contente de les reléguer au fond de l’inconscient, elles resurgiront à la première occasion avec une puissance accrue et ne cesseront de renforcer les tendances qui entretiennent les conflits intérieurs. L’idéal est au contraire de laisser les émotions négatives se former et se défaire sans laisser de marques dans l’esprit. Les pensées et les émotions continueront à surgir, mais elles ne s’additionneront plus et perdront le pouvoir de faire de nous leurs esclaves.
On pourrait penser que les émotions conflictuelles - la colère, la jalousie, l’avidité – sont acceptables parce que naturelles, et qu’il n’est pas nécessaire d’intervenir. Mais la maladie est, elle aussi, un phénomène naturel. Il n’en serait pas moins aberrant de s’y résigner et de l’accueillir comme un ingrédient désirable de l’existence. Il est aussi légitime d’agir sur les émotions perturbatrices que de soigner une maladie. Ces émotions sont-elles vraiment des maladies ? Au premier abord ce parallèle peut paraître abusif. Mais à y regarder de plus près, force est de constater qu’il est loin d’être infondé, car la plupart des troubles intérieurs naissent d’un faisceau d’émotions perturbatrices".

Matthieu RICARD, « Plaidoyer pour le bonheur », Pocket n°12 276, 2005, p. 131-132

Passer du temps avec soi-même

"Le souffle : porte de la biologie On commence par s’asseoir confortablement, le dos droit, pour laisser toute liberté de mouvement à la colonne d’air qui glisse des narines vers la gorge puis les bronches, puis jusqu’au fond des poumons avant de faire le chemin inverse. Le maître tibétain Sogyal Rinpoché parle d’une position « digne ». Il suffit de deux grandes respirations lentes et profondes accompagnées de toute notre attention, pour sentir que quelque chose se détend en nous. Une sorte de confort, de légèreté, de douceur s’instaure dans la poitrine, dans les épaules. On apprend alors, au fil des séances, à laisser à la fois le souffle être guidé par l’attention et l’attention se reposer sur le souffle. L’esprit devient comme une feuille posée sur un plan d’eau, montant et descendant au fil des vagues qui passent, portée par elles. L’attention accompagne la sensation de chaque inspiration, et elle se laisse porter par la longue expiration de l’air qui quitte le corps avec douceur, lenteur, grâce, jusqu’au bout de sa course, Jusqu’à ce qu’il n’y ait plus qu’un tout petit filet d’air, à peine perceptible. Puis une pause. On apprend à se laisser couler dans cette pause, de plus en plus profondément. C’est souvent là qu’on se sent le plus proche de son corps intime. Avec un peu d’habitude, on y sent son cœur qui bat pour soutenir la vie, comme il le fait inlassablement depuis tant d’années. Et puis, au bout de cette pause, sans que nous ayons le moindre effort à faire – sauf d’y prêter notre attention -, une petite étincelle se rallume toute seule, et déclenche une nouvelle inspiration. C’est l’étincelle même de la vie, qui est toujours en nous et que nous découvrons parfois pour la première fois. Inévitablement, notre esprit se laisse distraire de cette tâche au bout de quelques minutes et nous attire vers le monde extérieur : les préoccupations du passé ou les obligations de l’avenir. Tout l’art de cet « acte radical d’amour » [expression de John Kabat-Zinn, Ph. D, qui fut biologiste au MIT : « passer du temps, tous les jours, seul avec soi-même est un « acte radical d’amour »] consiste à faire ce que nous ferions pour un enfant qui a besoin de toute notre attention : reconnaître l’importance de ces autres pensées, leur promettre avec bienveillance notre attention le moment venu, et revenir à celui qui a besoin de nous dans l’instant présent – en cette occasion, nous-même".
(Servan-Schreiber David, « Anticancer, Prévenir et lutter grâce à nos défenses naturelles », Éditions Robert Laffont 2007, p. 257-258)

Comment conduire dans Paris?

"Je dirigeais une retraite à Montréal il y a quelques années. Je devais rejoindre les montagnes. Un ami me fit traverser la ville. Chaque fois qu’une voiture s’arrêtait devant nous, je remarquais la phrase « Je me souviens » inscrite sur la plaque d’immatriculation. Je ne savais pas très bien ce dont ces gens voulaient se souvenir – peut-être de leurs origines françaises ? – mais je dis à mon ami que j’avais un cadeau pour lui. « Chaque fois que tu verras une voiture avec cette phrase - « Je me souviens» - souviens-toi de respirer et de sourire. C’est une cloche de vigilance. Tu auras beaucoup d’occasions de respirer et de sourire en conduisant à travers Montréal. »
Il fut ravi et il partagea cette pratique avec ses amis. Plus tard, il vint me voir à Paris. Il me dit qu’il était plus difficile de pratiquer à Paris car il n’y avait pas de « Je me souviens ». Je lui dis : « il y a des feux rouges et des stops partout dans Paris. Pourquoi ne pratiques-tu pas avec eux ? » Après être rentré à Montréal et être repassé par Paris, il m’écrivit une très jolie lettre : « Thây, ce fut très facile de pratiquer à Paris. Chaque fois qu’une voiture s’arrêtait devant moi, je voyais cligner les yeux de Bouddha. Il me fallait lui répondre en respirant et en souriant – il n’y avait pas de meilleure réponse que celle-là. J’ai adoré conduire dans Paris. »
La prochaine fois que vous êtes pris dans un embouteillage, ne vous battez pas. C’est inutile de se battre. Calez-vous bien dans votre siège et souriez avec bonté et compassion. Profitez du moment présent, tout en respirant et en souriant – et rendez heureux les passagers de votre voiture. Le bonheur est là si vous savez comment respirer et sourire. On trouve toujours le bonheur dans le moment présent. Pratiquer la méditation, c’est revenir au moment présent pour rencontrer la fleur, le ciel bleu, l’enfant. Le bonheur est là - disponible".


Thich Nhat Hanh, « La sérénité de l’instant », préface du XIVème Dalaï-lama, J’ai Lu n°8863, 2009, p. 48-49